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Urbanisation "agricole"

#Technique

Jeremy Blondin Le lundi, 1 mai 2023 à 13:13
Urbanisation Urbanisation
Pour continuer ma présentation du contexte en Suisse après avoir analysé les chiffres de l’évolution démographique je trouve intéressant de se pencher sur l’urbanisation du pays.

La Suisse a une superficie de 41'285 km2. Le pays est 13x plus petit que la France et 200x plus petit que les Etats-Unis. Nous sommes 8.7 millions d’habitants soit une moyenne de 210 personnes environ par km2.


En 1930 36% de la population Suisse habitait en ville et la majorité en campagne. En 2020 la tendance est inversée 75% de la population habite désormais en ville. Nous avons vu la semaine dernière les missions de l’agriculture, la sécurité alimentaire, l’entretien du paysage ainsi que l’occupation décentralisée du pays. On le voit, la population se rapproche des villes, il y a des endroits désormais où il n’y a quasiment plus que des agriculteurs qui s’occupent d’entretenir le paysage notamment à l’aide d’animaux.


Intéressons-nous maintenant à la répartition des surfaces, pour simplifier on peut diviser le pays en quatre zones :


-         25 % de forêt

-         25 % de pâturages d’estivage

-         25 % de surface agricole utile (SAU)

-         25 % de surfaces bâties, les zones rocheuses et les lacs et rivières


Regardons la surface agricole plus en détail que l’on pourrait découper en 3 parties:


-         30 % de prairies

-         30% de pâturages

-         30% de surface d’alpages

-         L’arboriculture, la viticulture, l’horticulture et le maraîchage représentent que 3% des surfaces agricoles suisses.


Les cultures maraîchères utilisent environ 1% de la SAU totale mais génère environ 14% de la valeur totale de la production agricole Suisse qui s’élève à environ 10 milliards de chf par an. Le maraîchage nécessite de la main d’œuvre et beaucoup de technicité pour mener à bien les cultures de légumes, à noter que les surfaces sous abris représentent environ 10% des surfaces totales de maraîchage.


On peut noter que les deux tiers de la SAU sont des prairies. Si l'on ajoute les surfaces d'estivage et les surfaces d'altitude, les herbages représentent environ 50% du territoire. Environ 18% des surfaces de prairie sont des Surfaces de Promotion de la Biodiversité (SPB), des surfaces non-productives qui ont pour but de développer la biodiversité et la nature, par exemple des praires extensives, des jachères, des bandes fleuries, des arbres hautes tiges, etc… A savoir que ces surfaces vont augmenter dans le futur selon les nouvelles exigences de la Politique Agricole Suisse qui favorise l’entretien du paysage en lieu et place de la sécurité alimentaire, on produit actuellement un peu de moins de ce que l’on consomme en Suisse le taux d’auto-approvisionnement est d’environ 50%.


Les prairies sont exploitées pour les herbivores, les vaches principalement en Suisse. Leur nombre est en diminution depuis quelques années et cela ne va pas s’arranger avec le temps. Ces surfaces d’herbes vont donc devenir des forêts ce qui est l’une des causes principales de la diminution de la SAU, sans parler de l’impact que cela a sur le paysage et le tourisme Suisse notamment au niveau du ski. Il est intéressant donc de noter que le faite de se passer de viande ainsi que de produits dérivés comme le lait ou le fromage n’est pas si simple que ça on ne tourne pas le bouton On-Off. Il y a toujours un nombre important de facteurs à prendre en compte sans parler du fait que je ne suis pas certain qu’une fondue végan à base de noix de cajou de l’autre bout du monde soit meilleur pour la planète que du fromage suisse, cela sera surement le thème d’un prochain blog….


En 1975, chaque habitant Suisse disposait donc de plus de 1650 m2 pour se nourrir. Une surface qui a diminué de 423 m2 soit de près de 1/3. Comparé à nos voisins on se situe plutôt en bas de l'échelle. La Roumanie et la Bulgarie forment le duo de tête avec plus de 6000 m2 de SAU par habitant. Seuls les Belges et les Hollandais disposent de moins de surface agricole que nous.


La raison principale de la diminution de la surface agricole est évidemment l’augmentation des surfaces bâties. Si l’on prend la moyenne des 30 dernières années on arrive à une moyenne de 30m2 de béton ajouté à notre paysage chaque minute ! Soit l’équivalent de 4 hectares par jour, 30 ha par semaine, 120 ha par mois et 1'500 ha par année, ce qui représente 15 millions de m2 de perdus chaque année ! C’est évidemment une diminution de la capacité de production alimentaire du pays mais également un impact important concernant l’évolution du climat car ces surfaces sont imperméables, infertiles et très chaudes. On parle beaucoup de sécheresse ces derniers temps le développement des surfaces bétonnées n’est pas anodin car l’eau de pluie dans la majorité des cas ne peut pas s’infiltrer dans les sols construits où elle est canalisée artificiellement et redirigée.

Au niveau de la température également le béton ou les enrobés bitumineux deviennent extrêmement chaud au contact des rayons solaires, beaucoup plus que de l’herbe, de la terre ou autre élément naturel ce qui favorise un climat extrême dans les zones urbaines. Pourquoi n’y-a-t-il pas plus d’étages sur nos constructions, ce serait plus logique de diminuer l’emprise au sol et d’augmenter la densité d’habitation.


Finalement la pression urbaine sur l’activité agricole augmente. Les habitations sont de plus en plus proches des zones de cultures ou d’élevage. Les routes et autres infrastructures ne sont pas adaptées aux engins agricoles, souvent l’urbanisme souhaite gêner les automobilistes pour favoriser les transports en commun, imaginer le scénario au volant d’une moissonneuse batteuse ou encore d’un tracteur avec des remorques bien chargées en direction des ports francs au centre-ville. Un vrai parcours du combattant quotidien pour les chauffeurs, de plus en plus de zones et de routes sont inaccessibles et inadaptées pour nos outils de travail.


La cohabitation n’est pas chose aisée, tout le monde souhaite avoir des aliments sains, locaux, respectueux, durables et accessibles sans avoir aucune « nuisance ». Les activités agricoles ne peuvent pas se faire exclusivement durant les heures de bureau, la météo nous oblige à travailler la nuit, le week-end, oui le travail du sol peut faire de la poussière, du bruit, oui il est nécessaire de protéger les cultures et non les surfaces cultivées ne sont pas des parkings pour les promenades ou encore des pistes de galop. Il y a une réelle déconnexion entre la campagne et le citadin, lorsque nous expliquons pourquoi nous faisons un épandage de compost la nuit pour bénéficier du gel et éviter le tassement du sol ou encore pourquoi l’irrigation ne se fait pas la journée pour éviter l’évaporations, les gens comprennent et cela se passe bien dans la majorité des cas, cependant nous faisons face à de plus en plus d’agressivité, d’incompréhension et d’intolérance.


Il serait bien que le citoyen et le consommateur puissent accorder leur violons, 40% des Suisses ont votés favorablement à l’interdiction des produits phytosanitaires de synthèse mais seulement 12% achètent réellement du BIO Suisse par exemple, un gouffre entre les idées reçues, la réalité, les théories et les actions.



Nous arriverons faire face aux défis qui nous attendent seulement en tirant la corde dans le même sens, ce ne sera pas la ville contre la campagne ou l’agriculture contre l’industrie. Ce sera en travaillant ensemble, les uns et les autres, trouver des synergies, créer des symbioses et évidemment consommer local.


Jeremy Blondin